
Le travail de Sam Mangwana est un parfait exemple de musique universelle, même si ses chansons ont une touche singulière. « Le Géant de la Rumba Congolaise » est un voyageur aguerri qui parle plusieurs langues. Le bouleversement et l’exil de sa famille expliquent son destin extraordinaire.
Sam Mangwana est né à Kinshasa en 1945, de parents immigrants angolais. Dès son plus jeune âge, Sam est affecté par l’exil de sa famille, mais il tire le meilleur parti de son malheur. Il développe une soif de voyages et un intérêt pour les autres cultures.
« A cette époque, en Angola » explique l’artiste, « les gens étaient obligés de travailler dans les plantations de café, même des enfants de quatorze ans. Mes parents ont résisté à la colonisation et ont fui l’oppression de l’administration portugaise. »
Sam Mangwana a grandi, entouré de musique.
Son père possédait une grande épicerie à Kinshasa (à l’époque où l’actuelle République démocratique du Congo était le Congo belge), et sa mère, active dans une association pour mères angolaises, chantait lors d’événements comme des mariages, funérailles, et festivals culturels. En écoutant Radio Congo Belge, le jeune garçon découvre la musique d’autres pays (Cuba, Espagne, Italie et États-Unis).
En pensionnat,
il reçoit l’enseignement des missionnaires de l’Armée du Salut et commence à chanter dans la chorale de l’église de Kasangulu, à 40 kilomètres de Kinshasa. « C’est presque par hasard que j’ai rencontré Tabu Ley et le Docteur Nico », raconte l’homme qui est devenu un modèle pour des générations de musiciens en herbe. « Quand j’avais tout juste dix-huit ans, ils ont commencé à m’apprendre les ficelles du métier ». Depuis et malgré la désapprobation de son père, de nombreux groupes rivalisent pour jouer avec le jeune prodige.
Sa voix exceptionnelle, sa musicalité, son charisme et son sens de l’humour contribuent à faire de lui l’un des meilleurs «ambianceurs» de sa génération. « Mon père a finalement compris que j’étais destiné à devenir chanteur », explique Sam, « c’est peut-être ta vocation » m’a-t-il dit, « mais n’oublie jamais de lutter pour la liberté en Angola, n’oublie jamais de lutter pour la liberté de l’Afrique ». L’artiste est toujours resté fidèle à ces idéaux et n’a jamais fait de concession pour avoir plus de succès. Il chante dans huit langues différentes (lingala, kikongo, bambara, swahili, français, anglais, portugais et espagnol); et toutes ses chansons contiennent des messages pour la paix et la tolérance. Ses textes prônent le rapprochement des cultures et le respect des différences.
La première rencontre de Sam Mangwana avec Tabu Ley Rochereau et African Fiesta va changer sa vie. Ses talents de chanteur et ses arrangements musicaux ont formé la colonne vertébrale de nombreux albums sortis par son mentor. Parce qu’il parlait portugais, Sam a chanté et joué le répertoire latino du groupe. Il a donc appris à jouer de nombreux tubes d’Orquesta Aragon, de John Pacheco, de Harry Belafonte, du Trio Maravillas et bien sûr, de Tito Puente. Les années soixante ont été un âge d’or pour des styles tels que la biguine, le merengue, la mazurka et le calypso. Ces types de musique, qui avaient leurs racines en Afrique, ont été « réafricanisés ». La rumba congolaise est devenue extrêmement populaire. Les groupes dans lesquels Sam a joué ont apprécié sa capacité artistique et linguistique ainsi que ses compétences organisationnelles,
en particulier lorsque les musiciens ont signé leurs premiers contrats. En 1965, Sam Mangwana soutenu par Loubelo de La Lune – un grand artiste du pool Malebo (région comprenant Kinshasa et Brazzaville) – rejoint la SACEM.
Loubelo était déjà membre de la SACEM à une époque où la plupart de ses confrères musiciens ne pensaient pas à protéger leur travail.
En 1968, grâce au financement d’un important sponsor – Denis Llosono – Sam Mangwana s’associe à Vangu Guvano, Johnny Bokosa, Mavatiku Michelino, Dizzy Mandjeku et Ntesa Dalienst pour former Le Festival des Maquisards. Ensemble ils apportent une nouvelle touche à la musique congolaise.
En 1970 à seulement 25 ans, il crée son propre label Sonora, distribué en Afrique et en Europe par Decca France.
En 1972, Mangwana fait équipe avec une autre légende de la musique congolaise : le célèbre guitariste Franco et le groupe OK JAZZ. Il y avait beaucoup de controverse à cette époque, à cause de deux approches radicalement différentes de la musique. D’un côté OK JAZZ, de l’autre African Jazz dirigé par Joseph Kabasele (Grand Kallé), un groupe où Roger Izeidi, Tabu Ley Rochereau et Dr Nico se sont également fait un nom.

Sam Mangwana a fait de son mieux pour sélectionner les meilleurs éléments parmi tous les différents mouvements musicaux qu’il a rencontrés. « La musique cubaine et caribéenne a été la plus grande influence sur mon travail » déclare le chanteur dont la voix est immédiatement reconnaissable. « Il y a un échange constant d’idées musicales d’un côté de l’Atlantique à l’autre. L’esclavage a apporté les rythmes africains aux Amériques. Aujourd’hui, le son afro-latino est revenu en Afrique, et à travers la rumba congolaise, ces rythmes ont été portés à nouveau dans les Caraïbes ».
En 1977, Mangwana se lance dans une carrière solo avant de s’installer en Afrique de l’Ouest. C’est là que la rumba congolaise « à la Mangwana » prend son envol. Ayant fui les troubles de l’Afrique centrale, sa musique devient un moyen de lutte contre la corruption et la violence. Dans les années 70, il a marqué les esprits en mélangeant la musique des Caraïbes, d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale avec de la salsa, habillé à la James Brown avec des chemises moulantes. La fièvre Mangwana se répand sur le continent africain, il joue souvent devant plus de 50 000 personnes. Mangwana devient d’abord une légende en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, avant que sa renommée ne s’étende à l’Est et à l’Afrique australe. En 1979, l’Europe est contaminée; Mangwana remplit le Bataclan à Paris pendant quatre week-ends consécutifs.
Le début des années 80 marque l’âge d’or des musiques du monde et notamment des musiques africaines, qui rencontrent le succès en France. Aux États-Unis, Mangwana attire une couverture médiatique considérable. Son album Galo Negro en 1998 est acclamé et remporte de nombreux prix.

En 2003 sort Cantos de Esperança , un très beau disque acoustique revisitant la musique d’Afrique centrale des années 50.
En 2004 après la guerre civile (1975-2002), Sam Mangwana retourne enfin en Angola et travaille comme musicien dans son pays d’origine. Il est accueilli comme le fils prodigue par les autorités culturelles angolaises qui organisent des célébrations en son honneur, pour le remercier de ses actions pendant la lutte pour l’indépendance et pour avoir exhorté les Angolais à travailler ensemble pour la paix pendant la guerre civile qui a suivi la libération.
En 2005, Sam Mangwana sort, uniquement en Angola, le disque Patria Querida et vend plus de 7 000 exemplaires dans la journée par l’intermédiaire de la radio. Adoré chez lui, il ne cesse de donner des concerts et des galas, au point qu’il ne peut plus honorer les invitations qu’il reçoit de l’étranger !
En 2015, il est la tête d’affiche du premier Festival de Rumba à Kinshasa, relançant sa carrière internationale. En 2016, il sort l’album Lubamba. A l’occasion de son retour en France avec un concert à Paris en février 2021, cet album sera enfin disponible pour tous. Sur le premier morceau, Juventude Actual, composé par les Angolais Dodo Miranda et Adâo Filipe, Sam est accompagné d’une autre légende de la musique africaine, Manu Dibango. Une jolie vidéo des deux artistes, tournée par Wasis Diop sortira en janvier 2021.